68

 

Elizabeth l’attendait, adossée au comptoir du Pink’s, les bras croisés. Tom avait troqué ses habits souillés contre des vêtements propres, mais il ne doutait pas d’offrir un spectacle pitoyable. Un après-midi ne pouvait suffire à effacer les quantités d’alcool qu’il s’était descendues. Ses mains tremblaient. Le sentiment d’échec, la honte. Toutes ces choses merveilleuses qu’on raffole de montrer aux autres.

— Les cartes étaient disposées sur la table, attaqua directement Elizabeth. Elles n’ont pas bougé depuis ce matin. Depuis que Lenny s’est fait kidnapper, pendant que tu cuvais ton whisky dans l’église.

Tom évita de croiser son regard. Il n’était pas certain de pouvoir affronter ce qu’il verrait dedans.

— Seth va le tuer ? demanda-t-elle.

Sa voix vibrait de colère et de chagrin.

— Je ne sais pas.

— Tu devrais. Ce psychopathe était ton ami. Entre sales types, on se comprend.

— Ce n’est plus mon ami. Et je ne suis pas… Enfin, je ne fais aucun effort pour être un sale type.

— Alors bats-toi ! N’attends pas qu’on nous jette un CD à la figure rempli de nouvelles horreurs ! Un sac en plastique avec mes affaires à l’intérieur ou celles de Peter !

— Seth m’a donné rendez-vous ce soir.

— Je sais.

Il releva la tête.

— Tu sais ?

— Il est venu armé d’un fusil, nous a fait sortir et s’est enfermé dans le Frigo. Lenny est avec lui. Si on tente quoi que ce soit avant 23 heures, il le liquide.

— C’est du bluff. Stern est sûrement déjà mort.

— Peut-être. Mais sans le quad, nous n’avons aucun moyen de quitter cet endroit. Cameron ne peut plus poser son pied par terre. Et je refuse d’abandonner Léonard tant qu’il existe une chance.

Thomas regarda les cartes à jouer.

Ils étaient cuits, et Seth le savait. Il n’y avait aucun espoir. Aucune façon de reprendre la main. Cet enfoiré avait tout prévu. Il allait les dégommer un par un, jusqu’au dernier – et cela sans même une explication.

— Je sais comment le tueur procède, dit Elizabeth. Son plan.

— Hein ?

— Oh, ça ne sert plus à grand-chose, mais si ça t’intéresse…

Tom eut l’impression de dessaouler d’un seul coup.

— Tu plaisantes ?

Elizabeth désigna la table.

— C’est Lenny qui a deviné. Il l’a écrit sur les cartes. Seth ne s’en est pas rendu compte.

Tom se pencha et remarqua un ajout au crayon gris, en haut à gauche de chaque carton. Un mot, puis une lettre suivie d’un chiffre. Ça donnait la chose suivante :

 

Pour Nina Rodriguez : « sang → P1 »

Pour Vector Kaminsky : « crapaud → P2 »

Pour Paula Jones : « moustiques → P3 »

Pearl Chan : « mouches → P4 »

Karen Walsh : « bétail → P5 »

Et enfin Cecil : « poison → P6 »

 

Les cartes restantes – Léonard Stern, Cameron Cole, Elizabeth O’Donnel, Peter DiMaggio et Tom Lincoln – étaient dans le paquet, dos retourné, l’œil égyptien bien en vue.

Thomas les prit pour vérifier : elles ne comportaient aucune inscription.

— Ça ne te rappelle rien ? fit Elizabeth.

Il secoua la tête.

— Non. Sauf que les chiffres suivent à peu près l’ordre des meurtres. Cette lettre P, qu’est-ce que ça signifie ?

— Tu te souviens de ce film avec Charlton Heston, Les Dix Commandements ?

— Vaguement.

— Les Hébreux sont esclaves en Égypte. Ils veulent s’en aller, mais le pharaon refuse. Alors Dieu, furieux, inflige des châtiments. Et ils les subissent tous, les gentils comme les méchants.

Tom se demanda où elle voulait en venir.

— Réfléchis, dit-elle. L’eau de notre village devient rouge comme du sang et Nina se noie. Paula subit des centaines de piqûres de moustiques. Kaminsky est ligoté à une enseigne représentant un crapaud. Pearl est dévorée par des taons. Karen se fait marquer comme du bétail. Cecil meurt empoisonné.

Elle posa ses mains sur ses hanches.

— Tu nous as dit que Seth était obsédé par la religion, oui ou non ? D’après toi, il suivait un rituel.

Elle tapota de l’ongle sur la table.

— C’est devant nos yeux. L’eau en sang, les grenouilles, les moustiques, les taons, la mort du bétail, la maladie. Ce sont les Plaies, Thomas.

— Le « P » sur la liste.

— Exactement.

— Bon sang… Les Plaies d’Égypte, les châtiments de la Bible… Voilà ce que Cecil voulait nous dire !

Thomas fut obligé de s’asseoir. C’était invraisemblable, et pourtant Seth – ce malade, ce foutu cinglé de Seth – était en train de leur infliger les Plaies d’Égypte en guise d’épreuves divines.

Il recompta sur ses doigts.

— On en est à six. Quelle est la septième ?

— Les éléments qui se déchaînent, je crois. La pluie, la foudre. Quelque chose dans le genre.

— La pluie, répéta Thomas.

Le passé le percuta de plein fouet. Tout se connectait.

Le rendez-vous à 23 heures. Seth qui refaisait surface plus de vingt ans après. Les éléments qui se déchaînent.

— Ça te dit quelque chose ? demanda Elizabeth.

Il opina lentement.

— Oui. Seth est venu pour moi.

— Pour toi ?

— La Septième Plaie. Elle m’est destinée.

— Qu’est-ce que tu racontes ? dit-elle, la voix soudain pleine d’angoisse.

— Tu avais raison. Je vais devoir me battre.

— Il va te tuer !

— On verra.

Thomas avait l’impression de contempler enfin le puzzle dans son ensemble. Il manquait encore une ou deux pièces mais ce n’était plus son souci immédiat. Un détail concernant Seth venait de lui revenir. Un détail important, capable de lui redonner l’avantage.

— J’ai peut-être un moyen de le vaincre.

— Il t’a tendu un piège. Il a forcément tout prévu.

— Pas tout…

Il chercha autour de lui. Ses yeux tombèrent sur la bonbonne pleine de préservatifs posée sur le comptoir.

— J’ai passé toute ma vie à fuir. Il faut bien que ça s’arrête un jour.

Il ouvrit la bonbonne.

— Et ce coup-là, On va le jouer à ma façon.

L'Oeil De Caine
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